dimanche 3 novembre 2013

LiJiang - Ibiza dans l’Himalaya

Jeux d'enfant dans un petit square de la vieille ville de LiJiang

C'est le petit matin, le long des venelles il fait cru, même si le ciel bleu au-dessus de nous laisse présager d'une journée ensoleillée et particulièrement lumineuse. À cette heure, les ruelles sinueuses de la vieille ville piègent la lumière des rayons rasants du soleil. Les ombres du matin couvrent encore le plus part de la cité qui peine à s'éveiller.

C'est vrai qu'hier soir on a fait la fête tard dans la nuit. N'en déplaise aux esprits chagrins, la vieille ville de LiJiang est un lieu bouillonnant de vie qui le soir venu se transforme partiellement en lieu de fête avec bars chics et discothèque, comme si un petit bout d'Ibiza s'était donné rendez-vous ici. C'est un peu surprenant pour ceux qui s'attendent à visiter une petite ville médiévale accrochée aux contreforts de l’Himalaya, mais avec la reconnaissance de l'UNESCO et les travaux de restauration, LiJiang est devenu très tendance et la jeunesse de la petite bourgeoisie chinoise compte bien en profiter. Loin de la capitale, loin de la frénésie des mégapoles de la côte comme ShangHai, les lieux de sortie sont rares. Or LiJiang connaît depuis quelque temps une forte croissance économique liée au tourisme intérieur et international qui oscille entre culture, folklore et plaisir.


Travaux dans une ruelle de la vieille ville de LiJiang
Mais pour le moment c'est encore le matin, on démonte les panneaux de bois qui protège les magasins, on nettoie et on arrange les devantures des boutiques. Il n'y a pas encore de badauds, mais déjà un peu partout on s’affaire. Dans une petite rue, son sol éventré laisse voir ses entrailles. Des ouvrières et des ouvriers charrient des seaux de terre alors qu'à côté du chantier sont rangés, prêts à être posés, toute la nomenclature des tuyaux nécessaires à l'installation de l'eau courante et du tout-à-l'égout. Si l’essentiel de la vieille ville a été restauré, il reste encore du travail dans nombre de petites rues dès que l'on s'écarte un peu du circuit principal.

Or comme le touriste n'aime pas voir devant lui les nécessités contingentes d'une ville médiévale qui se modernise, en repassant par la même ruelle un peu plus tard dans la matinée, le chantier avait disparu. Dépavée à potron-minet, les canalisations posées avant dix heures et le tout repavé avant midi pour un dernier coup de balai. Les travaux avancent par petit tronçon de sorte qu'autant que possible les ruelles restent accessibles pour adsorber le flot des chalands.

Ailleurs, si d'autres chantiers plus importants restent ouverts, il ne semble pas question de travailler au milieu des déambulations touristiques. Dans la journée tous les chantiers sont désertés et les tranchées restantes, couvertes de planches, se font le plus discrètes possible. Bientôt, toutes les ruelles seront envahies par des milliers de touristes se serrant les uns les autres pour se presser dans les étroits boyaux comme poussés par une invisible urgence.

Pour l'heure, c'est le bon moment pour visiter la résidence Mu. L'ensemble des bâtiments et des jardins de la résidence est une petite ville dans la ville. Ceints de tout côté, les jardins de la résidence, le long des pentes escarpées de la colline du lion, dominent la ville et la vallée alanguie fuyant vers le sud. La famille Mu était une ancienne famille de dignitaires locaux. Leur résidence, comme une petite réplique de la cité interdite à BeiJing, présente une suite de cour et de palais, construite dans le plus pur style Han. Celle-ci marque l'emprise de la lointaine capitale impériale sur la vieille ville de province perdue entre les premières montagnes de l'Himalaya.

Jardin de la Résidence Mu

Élégante en robe de soie brodée
 de motifs traditionnelle NaXi
Si toutes les villes Han présentent toujours leur plan carré caractéristique (voir : SuZhou - Un jour et une nuit – http://pierrecapoue-chine2012.blogspot.be/2013/01/suzhou-un-jour-et-une-nuit.html). À LiJiang, nous sommes hors de la zone traditionnelle de peuplement Han. La ville ancienne présente un urbanisme organique qui forme un labyrinthe tortueux, chaotique, sans la moindre logique apparente autre que celle de vouloir égarer le visiteur dans ses boyaux. Les rues et les ruelles s’entremêlent tout en courbe, sans aucune artère un tant soit peu rectiligne pour se repérer. Partout les perspectives sont coupées par les ondulations de la voirie.

Au-dessus de la résidence Mu, on peut découvrir la tour WanGu. Bâtie au sommet de la colline du lion. Cette tour pagode de quatre toits et 96 marches domine toute la ville et offre au visiteur un panoptique à 360 °, embrassant la vielle ville, les nouveaux quartiers et plus loin vers le nord la silhouette majestueuse des monts enneigés du dragon de jade (玉龍雪山- YùLóng XuěShān) qui culminent à 5,596 mètres.

Passé midi, parmi les petits bonheurs de l'existence, il faut compter sur le plaisir simple de se perdre dans la vieille ville de LiJiang. En route pour la tour WanGu, une seule logique préside à nos pas : tant que ça monte, ça doit être la bonne direction. En chemin on passe par des passages en escalier, puis par d'autres où l'on peut passer à peine à deux de front, et d'autres encore bordés à droite et à gauche de multiples boutiques où l'on trouve souvenirs, colifichets traditionnels et tout pour le bonheur du hippie attardé sur la route de ShangRi-La (香格里拉 – XiāngGéLǐLā ). Juste avant l'entrée du parc de la tour WanGu, on s'attarde dans une maison de thé qui offre son toit-terrasse pour un moment de détente. Baigné par le soleil, la pause se prolonge, seule la complainte d'un malheureux microphone martyrisé par un chanteur guimauve nous incite à quitter le confort douillet de notre repaire et à repartir à l'assaut de notre objectif.

Dans un joli parc qui lui sert d'écrin, on découvre la tour WanGu. Elle se dresse entre les arbres fière et imposante dominant toute la vallée.
À l'intérieur, les étages, tout en boiserie finement travaillée, nous offre de superbes teintes acajou. À chacun des paliers intérieurs, des peintures anciennes et de fines encres de chine sont exposées. Mais curieusement, le même espace se partage entre l'exposition des œuvres anciennes et la vente de souvenirs pour les visiteurs. Sans y prendre garde, on passe de la contemplation des pièces d'art au feuilletage des encres de chine suspendues côte à côte et offertes à notre convoitise. Effet pervers du voisinage des authentiques œuvres anciennes, les encres de chine destinées aux touristes paraissent bien pâles et l'illusion permettant la vente semble moins bien fonctionner qu'ailleurs. Pourtant, ces ventes devraient soutenir les frais d'entretien de la tour depuis sa rénovation en 2004.

Et puis enfin, on arrive au dernier étage. Vitré sur ses quatre côtés, cet étage est un plateau unique offrant au visiteur une vue qui embrasse toute la vallée. Au-dessus de nous, le toit laisse voir ses larges poutres entrecroisées peintes de couleur vive avec des motifs décoratifs alliant géométrie et figures de dragons. Les motifs représentés trahissent le syncrétisme existant entre les pratiques géomantique des Hans et les croyances chamaniques du peuplement NaXis (NDLR : que je vous présenterai dans un prochain billet).

Depuis les fenêtres du dernier étage, en regardant vers l'ouest on voit la ville nouvelle. Vers le nord, on voit s'étirer la vallée jusqu'aux lointains chapeaux neigeux des monts du dragon de jade. Enfin, en regardant vers l'Est et le Sud on voit la vieille ville et la vallée qui descend pour rejoindre DaLi, 150 km plus loin et 600 mètres plus bas. D'ici, la vieille ville de LiJiang nous montre enfin toute la complexité de son plan : les toits qui se chevauchent les uns les autres ; les ruelles entremêlées ; les petites maisons grimpant le long des flancs de la colline du Lion. Plus loin encore, on devine des champs qui tapissent le fond de la vallée.

Vue de 270° depuis la tour WanGu
De l'autre côté de la tour, une dernière attraction attend les visiteurs. Dans un joli parc, deux petits pavillons protègent un gros tambour et une énorme cloche cérémoniels. Contre une faible obole, le visiteur peut frapper le tambour et la cloche. Faire résonner l'un et l'autre de ces instruments permet d'alerter les divinités du ciel pour attirer leur attention sur les ex-voto et les destinées karmiques des frappeurs.

Mais il est temps de redescendre vers la vieille ville. Les lumières du jour commencent à prendre leurs teintes mordorées, alors que le soleil s'approche de l'arête des montagnes. Dans peu de temps, l'astre du jour passera derrière la crête rocheuse. La colline du lion étend déjà son ombre sur les quartiers serrés à son pied assombrissant les ruelles entremêlées, annonçant précipitamment la nuit à venir.

Petite rue de la vieille ville de LiJiang

Désirant prolonger la douceur de la fin du jour, nous nous enfonçons plus loin dans le dédale circulatoire de la vieille ville jusqu'à trouver au bout d'une route un havre. Là autour d'une bière, avec quelques BaoZi nous attendons que la nuit s'installe. Le hasard nous a conduits dans un lieu d'apparence anodine, mais qui pourtant se révèle plein d'intérêt. C'est d'abord deux petites maisons côte à côte, ouvertes sur toute leur longueur. L'espace ainsi créé ne doit pas faire plus de trois mètres cinquante de profondeur pour une douzaine de mètres de long. L'endroit est aménagé comme une sorte de salon ouvert sur la rue. D'un côté, on trouve des banquettes disposées autour d'une large table, trois autres tables et quelques chaises sont aussi posées le long du mur du fond. De l'autre côté, on trouve enfin une cuisine ouverte sur la rue et sur la salle. Face à la salle, une femme roule des boules de pâte alors que derrière elle un homme un peu effacé, probablement son mari, s'affaire aux fourneaux. Le menu peint sur le mur en chinois, en anglais et aussi en caractères NaXis est des plus simple : bière, thé, et BaoZi DimSun ( les petits pâtés cuits à la vapeur dont nous avons déjà parlé dans : TunXi - Mutation Urbanistique, Etape Gastronomique - http://pierrecapoue-chine2012.blogspot.be/2013/03/tunxi-mutation-urbanistique-etape.html).

Cette femme qui durant tout le temps passé là n'arrêta pas de rouler ses pâtés de pâte de riz a quelque chose de singulier. Elle doit avoir une petite quarantaine d'années peut-être. Elle a un visage légèrement rectangulaire avec des traits fins et caractéristiques des peuples de l’Himalaya, comme les NaXis dont elle est probablement originaire. Sur un mur à proximité du comptoir où elle travaille, quelques photographies épinglées attirent l'attention. Ce ne sont pas les habituelles les photos des plats proposés que l'on trouve dans les restaurants, ni les images de souvenir kitch, mais des illustrations tirées de magazines. Ces images à l'aspect professionnel présentent toute la même jeune femme mise en scène : là, héroïne de mode ; là, jeune mariée ; là encore, pensive dans un parc. Et puis, on fait le rapprochement. Ce jeune mannequin que l'on voit épinglé sur ce mur c'est notre cuisinière qui roule ses pâtés avec quelques années de plus. Et nous mangeâmes probablement les meilleurs BaoZi de Chine.






Voir toutes les photos de l'album LiJiang OldTown : https://plus.google.com/u/0/photos/+PierreCapoue/albums/5942078502255497009

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