jeudi 10 octobre 2013

Interlude - Des gares comme des temples dédiés à une certaine idée de la modernité


Une employée des autobus de la ville HangZhou fait son laborieux relevé des horaires

Lorsqu'on voyage plus ou moins régulièrement, une chose devient rapidement frappante : tous les aéroports, toutes les gares et tous les hôtels se ressemblent.


Le soleil est haut, il est midi passé. Le ciel immaculé est d'un bleu profond au dessus de LiJiang. Il fait doux, nous sommes déjà à presque 2500 mètres d'altitude sur les contreforts de l'Himalaya. Alors, même quand le soleil au zénith donne toute sa puissance, les températures ressenties ne sont jamais trop élevées, et à l'ombre il ferait même un peu frais.

Dans une cour partiellement couverte, quelques tables ont été installées. L'endroit est idéal pour prendre une bière locale et deviser sur tout et rien, par exemple sur nos impressions de voyage. Comme la conversation suivait sont cours, nous nous attardons sur cette question fondamentale : n'est-ce pas étonnant qu'en Chine la moindre gare ferroviaire soit si imposante et monumentale ?

En effet, pour peu que l'on se déplace avec le train en Chine, on constate que les gares sont toutes des édifices aux proportions gigantesques. Les gares construites ces dernières années semblent comme autant de temples dédiés à une certaine idée de la modernité, véritables ouvrages de propagande moderniste et futuriste.


Plusieurs choses sont à prendre compte. D'une part, il y a la dimension considérable des villes, de leurs banlieues et de leur hinterland. D'autre part, la continuité symbolique entre la gare du chemin de fer, l'aérogare et même la gare autoroutière.

De BeiJing à GuangZhou en passant par SuZhou, HanZhou, Xiamen, Kunming ou GuiLin la moindre ville d'une certaine importance dispose d'une gare immense, moderne et dès que la ville se développe, une seconde encore plus moderne, encore plus grande est édifiée. Rien qu'à HanZhou, il faut plus d'une heure de bus pour relier les gares de l'Est et l’Ouest.

Depuis ces vingt dernières années, les villes de Chine n'ont cessé de s'étendre, et même si on agrandit les plus anciennes gares, les distances intra-urbaines imposent rapidement la construction de nouvelles gares pour desservir les quartiers les plus éloignés. Vingt, voire cinquante kilomètres peuvent séparer deux gares dans une même ville. Les gares les plus récentes sont encore à la périphérie des villes à l'instar des aéroports. Ces situations décentralisées s'imposent aux gestionnaires de l'espace public en prévision de la croissance urbaine incessante que connaît la Chine et ce malgré une densité d'habitat toujours en hausse également.

Viaduc autoroutier au dessus d'une ligne de chemin de fer et passage souterrain pour les piéton et les vélos,
nous sommes dans le centre de la ville  d'HangZhou.

Le terme de mégalopole pour désigner ces ensembles urbains prend alors tout son sens. Comme nous l'avons déjà vu avec ShanGhai (voir: SuZhou - Un jour et une nuit), les villes les plus importantes ont depuis longtemps absorbé dans leur périphérie les villes de province les plus proches. On peut alors schématiser ces ensembles urbains en trois cercles concentriques. D'abord un centre urbain, la ville proprement dite, avec un hypercentre où l'on trouve pêle-mêle : les administrations, des activités de bureau et des activités de tourisme et de loisir. À la périphérie de cette zone, on trouve plus spécifiquement les entreprises, les ateliers, les implantations industrielles. Le second cercle constitue la grande banlieue, où entreprises et zones d'habitation se partagent l'espace. Il y a là les nouveaux quartiers d'habitation comme autant de banlieues résidentielles séparées, isolées les unes des autres par des exploitations agricoles. Ces dernières, en sursit, sont déjà prêtes à être sacrifiées au nom du progrès lors de la prochaine poussée de croissance de la ville. Enfin, le troisième cercle constitue l'hinterland de la mégalopole. Traditionnellement, on y trouve les productions agricoles destinées à nourrir la ville. L'espace y est organisé en villages ruraux qui commercent avec la grande ville située à deux ou trois cents kilomètres. Mais, malgré la distance, la pression démographique urbaine se fait sentir jusqu'ici et de plus en plus de villages deviennent des colonies de peuplement pour les banlieusards, des villages résidentiels.

Le réseau de train à grande vitesse en Chine est le plus étendu au monde et le plus dense. Le TGV n'est pas considéré comme un investissement de prestige comme en France ou en Belgique, mais plutôt comme l'évolution naturelle du réseau interurbain. Une partie des trains sur ce réseau conduit quotidiennement les grands banlieusards depuis leurs villages résidentiels jusqu'à leur travail en ville.

Si la Gare est un monument à la gloire du progrès et de la modernité, c'est aussi un moyen pour les pouvoirs locaux d'affirmer la richesse et la prospérité de leur commune. De ville en village on rivalise par bâtiment de prestige interposé. On rivalise alors d'audace dans l'usage du béton et de l'acier avec des toitures en surplomb d'esplanades gigantesques et des halls aux dimensions de cathédrale. Si bien que la gare de XiaMen ferait passer toutes celles de Calatrava pour des abris de jardin.

Station de métro de Wujiaochang à ShangHai

Sans véritable originalité, les gares construites ces dernières années se ressemblent toutes, encadrées par un même cahier des charges : une esplanade monumentale, suivie d'un hall donnant accès aux salles des guichets, puis un autre hall pour accéder aux quais d'embarquement ; quelques commerces, une buvette, une salle d'attente, sans oublier une zone de contrôle des bagages. Tiens, avez-vous remarqué : si nous devions décrire le cahier des charges synthétique d'un aéroport, celui-ci serait sensiblement le même. (voir : http://www.monde-diplomatique.fr/2013/02/REKACEWICZ/48733)

Les fonctions de prestige des aéroports sont bien connues et documentées depuis longtemps dans les magazines d'architecture. Le passager entre dans le hall d'embarquement comme on entre dans un temple. L'espace grandiose intimide un peu le voyageur occasionnel, l'habitué au contraire se sent déjà à l'aise. Ce dernier sait comment se comporter avec le personnel qui est là pour satisfaire ses besoins. Son sésame en main, il passe le contrôle de sécurité et pénètre dans un espace où tout lui montre combien il est privilégié, combien il a de la chance de pouvoir prendre l'avion pour sa lointaine destination.

Les gares contemporaines en Chine, mais aussi en Europe, exercent sensiblement la même fonction. Comme une ligne de démarcation nette entre le reste de la ville et cet endroit dont l'accès est restreint et contrôler pour la sécurité et le confort du passager, l'espace de la gare qui commence dès son esplanade a pour vocation de délimiter l'espace protéger et privilégier réservé au voyageur en ordre de ticket.

Esplanade devant la gare de SuZhou
Concernant le style architectural, si les gares historiques s'inscrivent encore dans une certaine originalité propre à leur époque dédiée au culte de l'industrie et du fer, les gares contemporaines elles reprennent l'évolution du style international parsemé d'un peu de high-tech et de bionique. Construits à tour de bras, rares sont les bâtiments qui sortent de l'ordinaire. Partout, on retrouve les mêmes services, le même découpage de l'espace et en définitive le même style. Passé l'esplanade et la façade, c'est le fonctionnalisme aseptisé qui s'impose avec ses sols durs en vrai faux marbre que l'on retrouve aussi sur les murs, ses banquettes-fauteuils plus ou moins confortables, ses larges panneaux d'affichage sur lesquels défilent les numéros des vols ou des trains, les heures de départ et les numéros des portes d'embarquement.

En plus modeste, en plus populaire, on trouve en bout de chaîne les gares de bus. Même lorsqu'elles ne sont pas attachées directement à un aéroport ou à une gare de chemin de fer, les gares de bus présentent le même découpage de l'espace et les mêmes fonctionnalités. On pourrait ainsi caricaturer en disant que les aéroports sont destinés à l'élite, tout y est luxe. Les gares, où l'on embarque sur les trains à grande vitesse, se destineraient à la nouvelle classe moyenne et aux cadres d’entreprise. Il y a encore un certain prestige, mais un peu moins de luxe. Enfin, il y a les gares autoroutières pour le tout-venant et là encore il existe des différences de classe entre les bus express et les autres.

Beaucoup moins aseptisées, les gares autoroutières ont quelque chose de touchant avec leur personnel qui fait tous les efforts du monde pour faire comme dans les aéroports. On annonce les bus, on contrôle les tickets et les bagages, on y trouve même une salle d'attente pour les privilégiés possesseurs d'un titre d’embarquement. Bien sur, les banquettes sont moins confortables, le sol moins net et la buvette douteuse. Parfois l'airco rafraîchit l'atmosphère et l'odeur aigre de sueur s'atténue. Sur le tarmac, enfin le parking, une forte odeur de gazoil imprègne l'atmosphère.

Enfin pour en revenir sur le gigantisme des gares, malgré leurs proportions imposantes il s'avère qu'elles sont rarement surdimensionnées. Les dizaines de guichets disponibles font souvent, tous en même temps, face à des files de vingt ou trente personnes en attente de tickets. Les flux de voyageurs sont tels qu'il faut segmenter l'espace et la circulation dans les gares pour éviter les embouteillages entre ceux qui embarquent et ceux qui débarquent.

Bref, que les gares de bus ou de train comme les aéroports ne soient d'aucun intérêt esthétique, ils répondent pourtant à des nécessités de déplacement fonctionnelles à l'échelle d'un pays de plus d'un milliard trois cents millions d'habitants parsemés de mégalopoles de plus dix millions d'âmes et où les villes de province compte déjà plusieurs millions d'administrés.

Hall d'attente devant les quais de la gare autoroutière à XiaMen



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