jeudi 5 septembre 2013

TuLou Hua'An DaDi - Le Thé pour ne pas Sombrer dans le Tourisme

TuLou Hua'An DaDi

Aujourd'hui, nous quittons XiaMen pour deux jours à la découverte d'un ensemble de TuLou. Ce sont là des groupes de construction ressemblant à d'étranges châteaux de terre, ronds comme des yourtes géantes pouvant accueillir près de cent familles, ou rectangulaires pour quelques familles plus aisées. Ces ensembles architecturaux classés au patrimoine de l'UNESCO témoignent d'une époque qui s'étend du XVe au XXe siècle.

Une bonne demi-journée de bus est nécessaire pour rejoindre la petite bourgade de Hua'An, de là il faut encore trouver un bus local pour rejoindre l'ensemble de TuLou DaDi. Le minibus fait le taxi, s’arrêtant là où on le hèle, bien que des arrêts réguliers soient aménagés. Depuis 2008, les ensembles de TuLou de la région du Fujian sont classés et reconnus par l'UNESCO pour leur caractère original remarquable. Hu JinTao a même fait le chemin pour visiter l'ensemble de DaDi. D'ailleurs, la route qui y conduit a été refaite depuis peu...




Ensemble de TuLou Hua'An DaDi
Depuis Hua'An jusqu'à l‘ensemble DaDi, la route est bordée de part et d'autre de terrasses où poussent les théiers. À l'approche des hameaux traversés, le minibus ralentit, et l'air s'emplit d'une douce odeur. Dans les petits entrepôts ouverts sur la route, on peut voir des séchoirs tambour, et devant de grandes bâches tendues à même le sol où sèchent des petites collines de feuilles de thé. Devant chaque maison ont été installées des bâches pour trier et sécher les précieuses feuilles : celles-ci occupent maintenant près de la moitié de la route. Des tricycliques à moteur chargés d'énormes ballots transportent leur chargement depuis les champs jusqu'aux entrepôts des producteurs puis vers les grossistes en ville, avant que, conditionné en paquets, le thé ne soit expédié jusqu'aux boutiques de Londres, Bruxelles ou New-York.

L'ensemble DaDi est installé au creux d'une vallée : le minibus nous dépose juste au début de celle-ci. Un accueil pour les touristes a été aménagé avec un large parking pour les cars et les voitures, un centre d'information, une billetterie et de petites voitures électriques pour aller jusqu'aux TuLou. Mais en ce mois d'octobre, les touristes se font plus rares. Les TuLou sont au fond de la vallée, depuis l'entrée de celle-ci, ils ne sont pas visibles. Les Chinois privilégient le tourisme d'une journée : avec son billet d'entrée en poche, on grimpe dans une les navettes électriques qui déposent les visiteurs à la porte du premier TuLou circulaire, on visite, on reprend la navette pour le second TuLou. Quelques marchands sont installés afin de faire déguster le thé de la récolte actuelle, on achète et on repart vers l'entrée du site où attendent les cars pour les hôtels. Devoir accompli, visite réussie, satisfaction garantie, les touristes chinois ont vu un petit bout de la Chine ancienne enviée par le monde entier et qui plus est inscrit au patrimoine de l'UNESCO, comme nous l’avons déjà dit.

Arrivés dans le courant de l'après-midi, nous pouvons faire comme la plupart des Chinois et repartir aussi vite qu'arrivé ou nous pouvons décider de rester une nuit au moins. Nous choisissons cette seconde option d'autant que les propriétaires de ces ensembles monumentaux, s'ils ne parlent pas anglais, sont cependant tout à fait prêts à accueillir des visiteurs pour une nuit ou deux. Des chambres d'hôtes sont disponibles dans les maisons alentours et quelques-unes sont même disponibles dans les TuLou eux-mêmes. Pour une nuit, voilà une excellente occasion de plonger dans un peu d'histoire, je ne pouvais évidemment pas manquer cela.

Détail des toitures intérieures
L'ensemble DaDi se compose de deux larges TuLou circulaires et de plusieurs TuLou rectangulaires plus petits. C'est une curiosité chinoise qui alimente le mythe de la Chine mystérieuse. Les plus grandes constructions circulaires peuvent avoir près de cent mètres de diamètre et sont hautes de plusieurs étages. Le mur unique, aveugle, est ouvert d'une large porte officielle à double battant et d’une à trois autres plus étroites. Chacune de ces ouvertures est fermée par de lourdes portes de bois et débouche sur un couloir défensif qui traverse la construction pour atteindre la cour centrale. Dans le but de réduire la possibilité de pénétrer en escaladant la façade extérieure, le mur d'enceinte ne présente aucune décoration et le moins d’aspérités possible. Quelques meurtrières malgré tout parsèment le mur et, dans le haut, des petites fenêtres permettent à des guetteurs de discrètement surveiller les alentours. Enfin, quelques petites ouvertures, pas plus grandes que l'espace entre deux pierres mal ajustées, servent « d'oreilles » pour surveiller ce qu'il se passe à l'extérieur. Le TuLou représente un archétype de la construction défensive repliée sur elle-même.


Des deux grands Tulou circulaires, l’un a été transformé en musée vivant, tandis que l'autre est encore habité. C'est dans ce dernier que l'on peut loger. C'est aussi le plus grand et un des mieux conservé. Près de mille personnes peuvent y vivre, réparties sur les quatre étages de la construction. Dans la large cour centrale, un puits approvisionne les habitants en eau : c'est le seul « luxe » de l'endroit. Car même si ce château est encore habité il ne propose ni eau courante, ni tout-à-l'égout... Un unique néon blafard éclaire la chambre, où l'aménagement sanitaire se résume à la présence d'un pot de chambre.
À dix heures, on ferme les portes. Dans la cour, quelques personnes restent encore bavarder une petite heure avant d'aller dormir. Bien sûr aujourd'hui ce « règlement » n'est plus aussi strict : il n'y a plus à craindre les raids de pillards dans la région.

Pour un citadin, l'expérience est troublante. Seul le mur extérieur est en terre ; le reste de la construction est en bois. La seule fenêtre de la chambre donne sur un couloir qui lui même débouche sur la cour intérieure dans l'espace privatif de la famille. Au rez-de-chaussée, une pièce supplémentaire sépare l'habitat de la cour centrale. En pratique, durant la journée cette cour fonctionne comme la place du village : on y tient marché, on y rencontre ses voisins et les marchands de passage. Chaque tranche du TuLou se présente comme une « maison » individuelle accolée à sa voisine. Le rez et le premier étage sont réservés à la famille résidente. À partir des étages suivants, ceux-ci communiquent latéralement avec les voisins, ce qui permet aux défenseurs de circuler plus facilement tout le long de l'enceinte et ainsi renforcer les défenses là où cela s'avère nécessaire. Une archerie légère pouvait de la sorte se déplacer facilement. Arcs, arbalètes et arquebuses témoignent d'ailleurs de ce mode de défense. Les couloirs défensifs derrière les portes extérieures sont aussi dédiés aux archers avec des postes de tir en hauteur et derrière des meurtrières aménagées dans les murs latéraux.

Cours intérieure

Dès l'heure du coucher, tout s'éteint et le château plonge dans le noir. Bien que nous sommes déjà en octobre, il fait encore chaud et humide dans la chambre. Alors que les derniers murmures de conversation s'évanouissent, le silence s'installe. Il n'y a même plus un craquement de bois pour troubler l'obscurité paisible. La nuit, dans la chambre comme dans un caisson d'isolement, nous laisse seul avec nous-même. Alors, dans la demi-conscience d'un sommeil que l'on peine à trouver, des images arrivent. Une vision attirante, troublante et effrayante se dessine. On voit, on étend, on touche. L'expérience indicible ne dure qu'un moment entre le rêve et l'éveil. Celle-ci nous renvoie vers un âge lointain peuplé d'êtres de légende et d'histoire épique. Toute la charge historique et symbolique du lieu semble être passée par la chambre. C'est que ces bâtisses ne datent pas d'hier. Les constructeurs des TuLou (土楼- Bâtiment de terre) sont issus de l'ethnie HakKa originaire du centre de la Chine. Ils se sont déplacés vers le sud et vers la côte à mesure de l'expansion des royaumes Jin puis Song. Toutefois, leur mode d'organisation défensive, mis en place à partir du XVe siècle, centré et refermé sur lui-même, ne pouvait faire face qu'à des assaillants légèrement armés et pas trop déterminés. Face aux armées impériales, les TuLou ne pouvaient offrir qu'une protection symbolique... dès lors l’annexion dans l'empire était inévitable. Mais les HakKa ont, malgré tout, su préserver leurs particularités au travers des siècles...

Puis ce fut le matin, le Soleil paresse encore un peu dernière les collines, la rosée embrume l'air, il fait frais. Dans les champs, les premiers debout ont déjà commencé à travailler. Les enfants courent sur le chemin vers l'école toute proche et nouvellement bâtie. Sur la place, un premier parasol indique l'arrivée des marchandes. Bientôt, les jeunes guides courront derrière leurs groupes de visiteurs, comme cherchant à rassembler leurs troupeaux dissipés.
Des nuages se sont accrochés aux collines, le soleil n’apparaîtra pas dans sa toute magnificence avant la fin de la matinée, juste à temps pour accueillir les premiers touristes. Cela laisse encore toute la matinée pour se promener tranquillement dans les environs.

Aujourd'hui, avec le développement du marché du tourisme et surtout avec la croissance du marché du thé, aidé par une politique qui favorise l'enrichissement individuel, les HakKas quittent de plus en plus leurs bâtiments de terre pour s'installer dans des maisons conventionnelles avec l'eau courante, le tout-à-l'égout et la télévision. Dès qu'il y a un peu d'argent, les gens vont s'installer à DaDi « la neuve », village résidentiel moderne construit en face de la vallée de l'ensemble de DaDi « la traditionnelle ». Cela concourt à favoriser la transformation de l'ensemble de TuLou en parc d'attractions. Mais c'est sans compter la production de thé qui est encore appelée à se développer à l'avenir... Les producteurs de thé ont fait construire à proximité des TuLou traditionnels des maisons pour leur commerce et leur atelier avec une partie résidentielle au premier étage. C'est d'ailleurs le meilleur endroit pour déguster le thé de la région, le OoLong Tie Guan Yin.

Champs de théiers au abords des TuLou

Dans la douceur de l'après-midi, on nous invite à venir prendre le thé. Dans une grande pièce largement ouverte sur la route, à l'ombre, derrière un grand bureau en marbre notre hôte s'installe et nous invite à en faire autant. Derrière lui, une carafe filtrante fournit de l'eau qu'il met à chauffer. Devant lui, une théière pour conserver l'eau chaude, un GaiWan, sorte de bol assez haut fermé par un couvercle muni d'un pied permettant de le poser sur la table afin d'observer les feuilles du précieux buisson, quelques coupettes, un filtre pour le thé et une pince pour tenir le filtre et manipuler les coupes sans se brûler.

Une première eau est versée sur les feuilles de thé dans le GaiWan. Celle-ci est rapidement versée dans les coupettes et vidée à même le marbre du bureau qui sert de table à thé. Une deuxième eau est versée sur les feuilles, quelques instants passent et une première tournée est servie. On la boit encore très chaude en la faisant claquer entre la langue et les dents. Puis on sert une seconde tournée, puis une troisième. On remet de l'eau et on recommence. Les plus belles feuilles supportent plusieurs eaux et chaque service est différent. Les goûts changent selon la durée d'infusion et le nombre de fois où l'on remet de l'eau. Le thé passe de l'amer au fruité, puis le breuvage devient plus doux, pour retrouver une certaine amertume à la fin. Avec fierté, notre hôte nous montre comment ses belles feuilles se comportent une fois infusée, pour cela il renverse le GaiWan fermé afin de recueillir les feuilles dans le couvercle et ainsi les présenter aux invités. Un acheteur, beaucoup plus sérieux que nous, se joint à la dégustation. Il commente la longueur des feuilles, leur couleur, leur odeur. Vert, noir, feuilles entières ou coupées, les critères sont multiples pour évaluer le prix.

Les barbares à long nez ont fait leur choix, 500gr de thé vert chacun et du thé noir aussi. Ceux-ci sont mis sous vide devant nous afin d'éviter toute tricherie et un petit sachet de pleines feuilles en cadeau est ajouté.

Cours intérieure TuLou
Avec le classement par L'UNESCO, les TuLou sont devenus une attraction touristique de plus en plus prisée. Mais la région a bâti son économie bien avant cela sur la production du thé. Or si le tourisme se montre plein de promesses d'enrichissement rapide, il n'en demeure pas moins une activité économique versatile. La culture du thé génère encore aujourd'hui beaucoup de devises. C'est un marché en pleine progression également et beaucoup mieux connu des paysans locaux. La reconnaissance internationale des thés locaux apporte depuis peu aussi une forte valeur ajoutée à ce marché. La région se trouve moins dépendante du tourisme que d'autre. Une meilleure maîtrise de l'évolution touristique peut alors être envisagée.

Alors, chaque tasse de thé de Chine consommée en Europe ou ailleurs éloigne un peu plus du spectre de la transformation en disneyland pour les TuLou qui restent des témoignages vivant de l'histoire du peuplement HakKa dans la région.


Tulou du Fujian : http://whc.unesco.org/fr/list/1113/


Visitez aussi la gallerie : https://plus.google.com/photos/101460525071841597040/albums/5919839286887905025?authkey=CO7F097tlt7VuwE

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire