lundi 29 avril 2013

XiaMen - Bobos et Patchouli

Dans les petites rues de XiaMen

Après avoir répondu aux exigences prosaïques imposées par les contingences matérielles propres aux voyages, faire sa lessive et la mettre à sécher, la matinée touche déjà à sa fin. Alors que nos liquettes et nos grimpants suspendus à leur fil prennent l'air et le soleil à la terrasse du premier, nous décidons que l'après-midi sera consacrée au temple bouddhique Nan PuTuo.
En chemin nous passons par ZhongShan Lu, au bout de laquelle on trouve un témoin survivant du passé : le Ze He Huang Peanut Soup Shop, cantine improbable qui rappellerait au plus vieux Bruxellois l'ambiance du Milk-Bar du Passage du Nord.


Ancien immeuble à appartement
Ce snack-restaurant, capharnaüm de tables et de chaises, au mur carrelé, avec une salle en sous-sol, une autre à l'étage et même un entresol, résonne d'un bruit tellement continu qu’il en est presque reposant. L'un dans l'autre, l'enchevêtrement de salles imbriquées traverse tout le pâté de maisons pour déboucher à l'arrière dans un autre monde. ZhongShan Lu, comme la rue Neuve à Bruxelles, est un décor de théâtre. Au travers du restaurant, on passe derrière la scène et toute la machinerie nécessaire au bon fonctionnement de ce grand guignol d'un coup nous apparaît. Le petit peuple des porteurs transporte ses marchandises, les serveurs fument leurs cigarettes, on prend une bière assis sur un tabouret à même la rue.

On entre dans le quartier où vivent tous les gens indispensables au bon fonctionnement de toutes les attractions destinées à la petite bourgeoisie montante en villégiature ou en promenade à XiaMen. Ici, il n'y a pas de fioritures, plus de marques de luxe, plus de signes de prestige, juste l'arrière du parking d'un hôtel. Avant d'entrer dans un dédale invraisemblable et tortueux de ruelles et de passages, nous passons sous une arche chimérique creusée à même un ancien immeuble à appartement de luxe qui connut son heure de gloire dans les années vingt ou trente. Héritier d'anciennes conceptions de l'urbanisme, ce vaisseau de béton voit au cours de son histoire de multiples transformations comme autant d'appropriations par ces habitants. Souvent anarchiques, les interventions sur le bâti ne répondent à aucun autre cahier des charges autre que la recherche pratique ou le désir d’extension des locataires.

Le rapport entre les Chinois et leur habitat diffère de ce que nous connaissons en Europe. Après la révolution de 1948, l’État devient propriétaire de tout : sol, sous-sol et bâti. En même temps le droit au logement est inscrit dans la loi, l'administration de l’État coordonne la mise à disposition de logement pour chacun. Les Chinois sont alors locataire de leur logement pour un propriétaire impersonnel: l’État. Plus tard, Deng XiaoPing ouvre la possibilité de devenir propriétaire de son propre logement avec pour conséquence entre autres de pouvoir vendre sa propriété nouvelle. Mais, tout en sachant que la propriété en Chine n'est possible que pour les ressortissants nationaux et qu'elle ne concerne que le bâti. La terre ne peut pas être vendue, elle reste la propriété du peuple représenté par l’État.

Sans entrer dans une discussion sur comment les premiers acheteurs réunirent les capitaux nécessaires, cette réforme de la propriété entraîne les premières concentrations de patrimoines fonciers.
Cela permettra le développement des entreprises immobilières de statut mixte public-privé et la constitution des premières fortunes privées chinoises avec le fulgurant développement du marché de l'immobilier de bureau et de logement dans toute la Chine. Rapidement après l'ouverture de ce premier marché immobilier, les nouvelles fortunes chinoises ont investi dans tous les secteurs économiques et industriels qui font aujourd'hui de la Chine le grand acteur économique mondial que l'on connaît. On a là les fruits d’une politique de type « protectionnisme éducatif » dans le cadre d'un capitalisme d'état, comme l’avait décrit en sont temps Friedrich List.

Tout récemment, il y a deux ou trois ans, le gouvernement central a ouvert l'accès à la propriété immobilière, sur base d'emphytéose sur le sol, pour des ressortissants et des entreprises non chinoises. Ces baux conclus pour une durée maximale de 99 ans ouvrent le marché de l'immobilier aux investisseurs étrangers et augmentent d'autant les capitaux disponibles en Chine pour des investissements importants comme les infrastructures routières, ferroviaires et la recherche et développements.

Mais déjà, le labyrinthe de ruelles et de passage dans lequel nous nous étions engagés prend fin et avec lui notre réflexion sur la privatisation de l'immobilier en Chine. Passé ZhenHai Lu les rues s'élargissent, alors que nous approchons du quartier de l'université. Puis au détour d'une petite rue en courbe, un passage, comme un espace entre deux bâtiments mal ajustés, et l'on découvre un petit port de pêche qu'un Marius aux yeux bridés n'aurait pas renié. Formant une anse, un bassin entre les immeubles abrite ses grosses barques serrées les unes aux autres. Le long d'un quai étroit en grosse pierre, pas plus large qu'un trottoir, les porches arrières des maisons nous offrent leur intimité. L'après-midi bien engagée, nous prendrions bien une bière à défaut d'un pastis.

Petit port de pêche de XiaMen
Un peu plus loin, nous longeons une palissade qui nous sépare du gouffre profond ouvert par un chantier au milieu de la rue. A deux pas de l'université, une petite porte verte, avec une vitre sur la moitié supérieure, encadré par deux larges fenêtres. Des fenêtres fermées par des petits carreaux de verre, d'une vingtaine de centimètres de côté, mastiqués sur des châssis en croisillon de bois. Au travers des vitres, on devine dans la pénombre quelques tables, un divan, trois convives. C'est un pub.

On entre, on commande, on observe, mollement installé dans le divan. La sono passe une compilation jazzy, un réduit accueille le matériel d'un disc-jockey. Au mur des affiches un peu défraîchies tentent d'égayer les murs un peu sombres, dessus quelques mots en anglais... en français aussi et... en flamand... C'est l'annonce d'un concert qui a eu lieu à... Louvain ! À la carte on peut commander des bières étrangères, il y a même... de la Chouffe !
Non, ce n'est pas possible, où sommes nous donc tombé ? Sur DaXue Lu, juste à côté de l'université, un Belge a ouvert un café comme ceux de Bruxelles ou d'ailleurs en Belgique. Déjà à ShangHai on pouvait remarquer qu'en Chine, aujourd'hui, les bars plus ou moins chics se multiplient. Mais un simple café où l'on peut prend un verre entre copains, dans une ambiance cosy-squat très culture undeground, c'est bien la première fois que l'on n'en voit un. Dans ce quartier de l'université de XiaMen on croise des jeunes qui vendent des vieux livres et des breloques genre hippie, fleurs dans les cheveux, avec des faux airs de Quartier Latin qui fleuraient bon le patchouli. Cette espèce de seventies revival peut être mis en résonance avec l'émergence de la classe moyenne chinoise. Ces étudiants seraient moins complexés et moins rigides que par le passé face à leurs études ; on pourrait dire que ce sont là des marques de leur confiance dans l'avenir qui s'expriment par une certaine décontraction autour de l'université. Bref, c'est un quartier de bobo...

Esplanade devant le temple de NanPuTuo
En suivant les odeurs de patchouli et d’encens mêlé, on arrive au temple de Nan PuTuo. Un large portique en pierre à trois portes à double battant ouvre sur une allée qui conduit jusqu'au jardin et au lac au pied du temple. Une prairie de lotus recouvre la pièce d'eau. Des badauds et des fidèles en nombre s'assemblent à mesure que l'on approche de l'entrée. Autour des bacs à encens disposés sur l’esplanade, des petits groupes se sont formés pour aller piquer leurs bâtonnets odorants. Des moines, parmi les touristes chinois et les fidèles, déambulent çà et là. Vrai dévot ou simple touriste se différencient péniblement, peut-être ces derniers sont-ils un peu plus maladroits dans leur gestuelle magique, comme quand quelques vieux laïcards visitent une église...

Un escalier sur la colline permet de monter de chapelle en chapelle le long d'un chemin symbolisant la voie de bouddha devant mener à l'illumination. D'ailleurs, c'est la golden hour maintenant, les 20 minutes de grâce avant que le soleil ne disparaisse derrière l'horizon. Les couleurs du temple et des alentours s'embrasent à la lumière du soleil couchant alors que les ombres s'étirent de plus en plus avant d'envahir tout le paysage. Le moment en “or” pour prendre quelques images, avant de partir pour une autre étape.

XiaMen - temple de NanPuTuo
 Pour voir toutes les images de XiaMen : http://goo.gl/C7wlT






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