dimanche 24 mars 2013

HuangShan - La Montée, La Compagnie des Porteurs






Il existe, encore aujourd'hui, une relation singulière entre les Chinois et leurs montagnes. Pour espérer lever un coin du voile sur cette relation, il faut remonter loin, jusqu'aux sources du taoïsme, de la pensée magique et des légendes qui les sous-tendent. Aujourd’hui, le HuangShan c'est un ensemble de pics rocheux administré en tant que parc naturel et classé au patrimoine mondial de l'UNESCO.


À trois-quart d'heure de route, depuis TunXi, un petit bus nous emmène jusque TangKou. Ce gros village accueille les différents services administratifs du parc de la montagne, les guichets pour les tickets d'entrée et pour le téléphérique, le départ des bus jusqu’à l'entrée officielle du site et quelques hôtels pour ceux qui ne se sont pas arrêtés à TunXi. Tickets en main, on prend donc un autre bus jusqu’à l'entrée officielle du parc et le départ du « cablecar », le téléphérique. Ceux qui veulent gravir la montagne à pied prennent à gauche, 4000 marches d'escalier les attendent. Ceux qui souhaitent économiser leurs forces prennent la télécabine à droite. Des escaliers, il y en a encore bien assez arrivé en haut...

Tout en se balançant mollement la cabine s'élève le long des pentes escarpées et traverse bientôt la couverture de brume qui recouvre la vallée. Le câble suit les premières pentes le long des contreforts de la montagne. La vue plongeante découvre, devant nous, un large un panorama. Le temps est clair, il parait que cela est très rare ici. On peut détailler, loin en dessous de nous, des villages et des routes. Sur des dizaines de kilomètres et peut-être même plus encore s'étend le paysage de la plaine du YangZi jusqu’à l'horizon. Suspendus à notre câble, nous pourrions nous prendre à voler alors que nous passons par-dessus des ravines creusées entre les premières aiguilles rocheuses. À mesure que nous montons, l’inclinaison de la pente se fait plus raide. La station d'arrivée est en surplomb d'un haut mur de granite prolongé à son pied par une forte pente rocheuse parsemée de quelques carrés herbacés .

Très ancien plancher sous-marin, la montagne s'est redressée petit à petit durant sa longue histoire géologique. L'ensemble des monts du HuangShan se compose d'un mille-feuille de plaques granitiques dressées verticalement. L'érosion incessante a fini par détourer les plaques de granite les transformant en autant d'aiguilles rocheuses et de crêtes affûtées, alors que d'autres roches granitiques exposées aux vents et aux intempéries se sont, au contraire, arrondies. Les caprices de la nature conduisirent des rochers égarés au sommets de plusieurs pics, pendant que d'autres, montés les uns sur les autres, forment d'impossibles empilements. Assemblages improbables, formes anthropomorphiques, la nature a réuni ici les conditions à l'illustration de toutes les légendes. Fées, dragons, sages transformés en pierre, les histoires les plus fantastiques semblent prendre corps dans ces formes minérales.




Au sortir du téléphérique un chemin aménagé entre les conifères nous appelle pour la visite du site. Très vite les premières marches d'escalier font leur apparition. Nous sommes encore loin du sommet, et dans la montagne escarpée, il n'y pas de chemin plat, ici on monte, là on descend. La « promenade » officielle fait déjà plusieurs kilomètres d'escalier pavés de larges pierres burinées, pour réduire les risques de glissades et de chutes. Le site s'inscrit dans l'imaginaire chinois depuis des siècles et depuis longtemps on y taille des escaliers et on y pave des chemins. Avec l'accroissement du tourisme ces dernières années, des aménagements de plus en plus importants ont été entrepris. Plusieurs hôtels ont été construits entre les pics les plus élevés. Des balustrades ont été posées le long des passages les plus périlleux, mais ces travaux sont loin d'être finis.



Avec un peu d'attention portée aux différents marcheurs ou simplement en jetant un coup d’œil sur un panneau des tarifs à l'entrée du site, on s’aperçoit qu'il existe encore un service de porteur qui gravit à pied les innombrables escaliers. Un bambou fendu en deux posé sur l'épaule, tel une balance supportant sur chacun de ses plateaux sa lourde et volumineuse charge, ils montent, s'appuyant sur un long bâton qui leur sert aussi à alléger leurs charges lors des courtes haltes qu'ils s'octroient. Ils portent sur leur dos les fournitures pour les divers commerces, hôtels et restaurant. On les croise sur le chemin, principalement le matin avant que les escaliers ne soient envahit de randonneurs. Ils montent les bouteilles d'eau, des snacks, des ballots de linges propres, ils descendent des ballots de linges sales. Ils transportent, de haut en bas et inversement, les bagages des touristes qui ne souhaitent pas s'encombrer. Par deux avec une chaise à porteurs, ils portent même les visiteurs sur les 4000 marches. C'est aussi sur le dos de ces hommes que la plupart des matériaux de construction montent pour les chantiers des hôtels, comme pour ceux du parc. Enfin, quand les escaliers ne sont pas taillés à même le rocher, les pierres pour les marches et les sentiers montent aussi de la même manière.

Culminant à 1864 mètres avec le pic du Lotus, dans le parc des monts du Huangshan, on ressent déjà un léger manque d'oxygène. Tout au long de l’ascension, le souffle est plus rapide qu'à accoutumée et les pauses sont les bienvenues. Pourtant, les Chinois en villégiature sur la montagne sont comme en transe. Ils s'aventurent à l'extrémité des rochers aux points les plus hauts possible. Ils se prennent en photos à quelques centimètres du vide. Je ne puis m'empêcher de penser qu'avant la fin de la journée je vais en voir un tomber, entendre un long cri qui se perd dans le vide et qui rebondira au rythme de la chute. En bord du gouffre, la conscience de la possibilité de cette chute transperce mon esprit et je ne m'éloigne pas du garde-corps. Des panneaux partout sur le site sont là pour dissuader les visiteurs de franchir les balustrades, mais rien n'y fait. Tout d'un coup, c'est comme si toute la retenue dont peuvent faire preuve les gens s'était envolée avec l'altitude. On crane devant ses collègues, devant sa famille, devant ses amis. D'accident, personne ne vous en parlera. Il est pourtant évident que les chutes ne doivent pas manquer, à voir le comportement de certains. Montagne sacrée ou pas, les faux pas ne pardonnent pas. Mais, alors que la journée va bientôt s'achever, aujourd'hui il semble que le HuangShan se soit montré clément avec tous les idiots présents et qu'il m'ait épargné d'éprouver le spectacle désolant d'un imbécile versant dans du haut de la montagne jusqu'au fond de la vallée.


Les attitude des chinois que l’on observe sur leurs montagne peut se comprendre si on fait référence à une pensée magique. Les montagnes sont le symbole de la Nature, depuis l'émergence de la pensée taoïste et de la pensée bouddhiste. Ces courants de pensée ont mis en forme des traditions et des coutumes plus anciennes encore . La Nature y est pourvue d'esprit et protégée par des divinités interagissant avec les êtres humains au travers de mécanismes d'intercession magique. On retrouve, aujourd'hui encore, ce type de relation à la nature dans les communautés pratiquant diverses formes de chamanisme, c’est-à-dire des communautés dont la culture mêle dans un même ensemble continu leurs conceptions de la nature, de l’univers, de l’homme et des “sciences”. Ce que l’on désigne aussi comme un système holistique de connaissances et de croyances. Cette relation particulière à une Nature ontologique a percolé jusque dans la Chine contemporaine. Des variantes opératoires comme le Feng-Shui sont encore régulièrement invoquées, entre autres lors de la construction de bâtiments et l'aménagement de lieux de vie. Cela se retrouve également dans la conception de la cuisine en Chine qui amalgame ce qui bon pour le goût et sain pour la santé.



Dans ce cadre, gravir la montagne, se promener dans la montagne, sont des actions porteuses de sens, ce sont des formes dérivées héritières de rituels de reconnaissance des pouvoirs magiques et des esprits présents. Il s’agit d’une montagne thaumaturge visitée et honorée en référant à des superstitions, à des rituels de purification, à des vœux, à l’acquisition et à l'amélioration de caractères personnels. Enfin, c’est aussi une sorte de rite initiatique.




Pour voir toutes les photos du HuangShan : http://goo.gl/JTAst





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