Yu Yuan Garden - Le rendez-vous Manqué

Quartier de Yu Yuan Garden - 02

A midi, aux heures chaudes, comme dans tous les pays chauds, il faudrait toujours se souvenir qu'il faut se réfugier sous les ombrages des parcs ou dans quelques ruelles étroites qui feront barrage au soleil. Mais à ShangHai, la moderne, les ruelles étroites et les parcs ont laissé place à de larges artères dans lesquels s’engouffrent et se bousculent voitures, motos, vélos, piétons. Ici, les immeubles ne font pas d'ombre et on prend le soleil tout le temps que l'on y passe. C'est pourtant à cet endroit que j'ai rendez-vous ce midi pour aller manger.

Je débarque donc à la station de métro de Yu Yuan Garden à l'heure dite. Les bouches de métro de la station vomissent un flot incessant de badauds qui tous viennent pour se presser dans l'étroit dédale bordant les jardins Yu.

Le temps file quand on s'amuse... Bientôt 14:00, je dois bien constater que mon rendez-vous n'est pas très ponctuel, ni très précis. Réfugié sur un muret qu'un jeune arbre peine à protéger du soleil avec son feuillage juvénile, je me résous à faire de mon infortune un moment d'observation de l'agitation frénétique de ce premier jour des vacances d'octobre.


Le quartier de Yu Yuan Garden semble le point de rendez-vous à ShangHai pour tous les Chinois à 20 km à la ronde. C'est un patchwork hétéroclite, varié et insolite de Chinois qui défilent, formant une incessante procession.

Aux abords de la station de métro il y a trois catégories de personnes. Il y a ceux qui attendent, mangent, ou boivent. Il y a ceux qui passent et ne s'attardent pas. Enfin, il y a ceux qui semblent profiter un peu du temps qui passe.

Mais avant cela alors que l'on attend, un moment suspendu avant d'avoir trouvé son affût, on se fait rapidement accoster par des couples charmants, un jeune homme, une jeune fille, deux jeunes filles. En bon Anglais ou en pur Chinglish, on vous demande de prendre le couple en photo sur fond de paysage urbain, puis on vous demande d'où vous venez. La conversation, charmante, se poursuit, aimable, pour finir par vous proposer de visiter telle maison de thé ou telle exposition d'art. C'est à ce moment qu'il faut avoir une bonne excuse pour éviter que le filet ne se referme sur vous. Car, ces couples ne sont pas là pour flâner en rêvant à leurs amours naissant. Ils travaillent à appâter et à ferrer le client, un peu pigeon, pour le conduire, au mieux, vers la boutique familiale, au pire, vers une pure arnaque. Mais une fois entendus que vous resterez sur votre muret, un parmi d'autre, cherchant un peu d'ombre, ces derniers se désintéressent de vous.

Paysan

Le tableau coloré et multiple de la variété chinoise commence alors à se dérouler devant vous. Ici, un mendiant que vous n'aviez pas remarqué apparaît, faisant les poubelles discrètement. Les indigents ne sont pas rares. Quelquefois ils viennent directement à vous mendier quelques Jiao (dizaine de centimes, que l'on prononce familièrement « Mao »), mais la plupart du temps ils n'apparaissent qu'au coin de l’œil tant ils sont discrets. Trop nombreux pour être chassé par les autorités, ils sont tolérés tant qu'ils ne se font pas remarquer. Présents là où les touristes, Chinois et Occidentaux, sont nombreux et laissent beaucoup de déchets, ils récupèrent tout ce qu'il pourront valoriser : bouteilles plastiques, canettes de métal, etc. Parmi eux, les plus miséreux iront jusqu'à récupérer de la nourriture dans les poubelles. C'est que, comme en Europe et ailleurs, l'ouverture de la société à l'économie de marché va de pair avec le chômage et la pauvreté.

Yu Yuan Garden - 01

Puis passent des enfants bruyants, joueurs, curieux de vous, sages, parfois accompagné d'une grand-mère. Ce n'est pas parce que c'est la Golden Week (semaine de vacances) que personne ne travaille. Quand les plus jeunes n'ont pas d'activité parascolaire, les grands-mères peuvent jouir de leurs petits enfants. Mais dès que les familles en ont les moyens, on payera des cours supplémentaires au rejeton. Le temps des loisirs pour l'enfant est encore un concept abstrait dans cette société. L'avenir du marmot et de la famille se construit dès le plus jeune âge. En plus de ses cours à l'école, de ses devoirs à la maison, l'enfant suivra des activités complémentaires : musique, arts, gymnastique, mathématique, etc.
Encore enveloppé d'un bonheur béat pour un temps, d'autres enfants passent encore, eux sont en devenir dans le ventre rond de leurs mères. Et puisque que Yu Yuan Garden est the place to be, les jeunes femmes, pleines, fières de leur future maternité viennent montrer, à tous, leur félicitée, espérant secrètement d’avoir des jumeaux. De futur mâles, car aujourd’hui encore il est toujours mal considéré d’être une fille.

Le temps passant, finalement, on vous rappelle et on s'étonne de ne pas vous trouver ailleurs. Car on vous attend plus loin. Direction le point de concentration de tous ces gens que vous avez regardé passer durant deux heures (et ça en fait du monde). Ils se pressent et se bousculent dans quelques ruelles étroites bordées de part et d'autre de boutiques en tout genre, le tout baigné dans l'odeur très particulière du “tofu puant” (chòu dòu fǔ ). Évidemment, retrouver son rendez-vous s'avère impossible. Il ne reste plus qu'à visiter soi-même ce dédale improbable où l'on pourrait finir par croire que c'est un milliard de Chinois qui s'y sont donné rendez-vous.

Quartier de Yu Yuan Garden